Au Mellah le Juif était chez lui, et à Fès, le roi. Les sept hectares qui ont été concédés sont devenus une enclave à l'autonomie intérieure connue et reconnue.
Musulman par essence, le Makhzen ne pouvait prétendre légiférer en lieu et place d'une communauté religieuse tolérée et même protégée aux termes du Pacte d'Omar qui régit la condition des Dhimis.
Quitte à respecter l'ordre public, à ne pas enfreindre les lois du commerce et à ne pas porter atteinte aux biens et droits des voisins musulmans, les Juifs étaient libres de mener leur vie interne conformément à leur foi. Même le processus de modernisation sous le Protectorat n'avait pas porté atteinte à cette autonomie de fait, la communauté assurant elle même la plupart des fonctions qui dans la conception moderne relèvent de l'Etat.
Dénuée de toute velléité politique, l'autonomie a pu s'épanouir en une sorte d'état dans l'état avec tous ses "ministères" miniatures.

  • FINANCES: La communauté ne reçoit aucune subvention extérieure et assure ses besoins en levant l'impôt et en faisant appel à la contribution volontaire (sorte d'impôt sur le revenu ou la fortune).
  • AFFAIRES SOCIALES: C'est le vaste champ de la bienfaisance sous tous ses aspects.
  • EDUCATION: Religieuse: Em Habanim et Talmud Torah; laïque: l'Alliance.
  • SANTE: Bikour Holim, visites aux malades, aide médicale, Maison des vieux (Mochav Zékénim), pompes funèbres (Hebra Kadicha).
  • JUSTICE: Droit personnel du ressort des seuls tribunaux rabbiniques.
  • AFFAIRES ETRANGERES: Le Président de la Communauté représente les siens auprès des autorités.
  • SPORT: Association des Anciens Elèves de l'Alliance, le Maccabi dans les années trente. L'ASF (Association Sportive de Fès, avec son équipe de basket).
  • JEUNESSE: Mouvements scouts, Sionistes, DEJJ, Unités populaires, etc.

Les Institutions du 20e siècle


A coté des institutions juives séculaires se sont ajoutées d'autres institutions au 20e siècle qui ont participé à "l'émancipation" de la population et ont profondément changé la vie des juifs fassis.

L'Alliance

L'Alliance Israélite Universelle (AIU) fut fondée en France vers 1860 pour aider à l'émancipation culturelle des israélites. C'est le spectacle de l'abaissement où se trouvaient jetés par la rigueur de leur sort les israélites d'Orient qui avait déterminé Adolphe Crémieux aidé de Salomon Munk et de Sir Moses Montefiore à fonder cette institution dont la bienfaisante action s'est particulièrement fait sentir au Maroc.
L'Alliance remplit deux fonctions principales : intercéder auprès des autorités politiques dans le monde au bénéfice des Juifs persécutés, et développer un réseau scolaire visant à « moderniser » les Juifs d'Orient afin de permettre leur émancipation. L'objectif de l'Alliance est alors de répandre les bienfaits de la civilisation française dans le monde juif. Elle se pose comme représentante officielle du judaïsme français, sauf pour ce qui tient du culte, domaine réservé du Consistoire duquel elle demeure proche.

A Fès, elle fonde l'Ecole de l'Alliance, située près de la place du Commerce, à coté du Mellah.
L'école comprend deux ensembles de classes du primaire, l'un pour les garçons, l'autre pour les filles. Plus tard il y aura quelques classes professionnelles.
Les classes comportaient souvent plus de 50 élèves, mais il y régnait une discipline ferme et incontestée. Les instituteurs étaient respectés et aimés.

Une école de l'Alliance a été créée plus tard en Ville Nouvelle, dirigée par M. Benozillo.

L'OSE

L'OSE, (Œuvre de Secours aux Enfants) est née en 1912 à Saint-Pétersbourg avec une mission : protéger, nourrir et soutenir les enfants juifs victimes de persécution et de pauvreté.
Première ONG du XXe siècle au service des populations juives, son action s'est particulièrement fait sentir au Maroc.
A Fès, elle servait aussi de dispensaire, plusieurs personnes ont animé son action, notamment le Dr Hassoun, Alice Cohen (infirmière) et Mme Zohra Aflalo.

Le JOINT (American Jewish Joint Distribution Committee – JDC ou "Joint")

Créé en 1914 par des juifs américains influents, le JOINT, basé à New York, devint la principale organisation communautaire pour l'aide apportée aux juifs en dehors des Etats-Unis.

A Fès, il était animé par Isaac Aflalo et Sultana Benzimra, et apportait aide et nourriture au plus démunis.

Le DEJJ (Département Educatif de la Jeunesse Juive)

Créé en 1949 par Edgar Guedj, le DEJJ, est un mouvement de jeunesse qui a pour vocation de regrouper les jeunes issus de toutes classes sociales, quelles que soient par ailleurs leurs options politiques ou pratiques religieuses. 
Il a particulièrement été animé à Fès par Salomon Aflalo, qui a poursuivi son action en France, à Nice.

Les colonies de vacances

Des colonies de vacances étaient organisées en été, à Immouzer et à Ifrane, villages situés en altitude, où le climat était plus frais pendant la période de canicule.
Les transports d'enfants se faisaient à dos de camions, escortés de jeunes moniteurs.
La participation au frais était minime pour les familles.

A Immouzer, à 30 km de Fès, deux bâtiments, l'un pour les garçons, l'autre pour les filles, accueillaient les enfants pour des périodes de trois semaines.
C'était la "Colonie Hassoun", longtemps dirigée par M. Abensour.

A Ifrane, à 60 km de Fès, l'hébergement se faisait sous la tente.